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Depuis l’apparition du nouveau coronavirus et les mesures sanitaires mises en place pour prévenir sa propagation, de nombreuses personnes ont la sensation d’être épuisées. Pourtant, la fatigue n’est pas un sensation nouvelle; elle a simplement pris différents aspects au fil des siècles. Alors, fatigué ou… fatigué? Les spécialistes distinguent aujourd’hui deux formes d’épuisement.

«Le temps c’est de l’argent», voilà l’adage sur lequel repose notre société aujourd’hui. Difficile de nos jours de se poser, de souffler et de prendre le temps de réfléchir. Nous passons notre temps à courir. Entre la maison et l’école, puis entre l’école et le lieu de travail, puis inversement à la fin de la journée, lorsqu’il ne s’agit pas en plus de faire un crochet pour se rendre au supermarché. Ces dernières années, le développement des outils numériques n’a fait qu’accroître le phénomène: les sollicitations permanentes véhiculées par les smartphones rendent parfois difficiles la coupure entre vie professionnelle et vie privée, épuisant le peu de ressources qu’il reste en chacun de nous. Résultat: nous voilà au bout du rouleau.

Un épuisement accru par le risque sanitaire

Puis est arrivée la pandémie. Un «couac» dans le rouage si bien rodé de nos vies défilant à cent à l’heure. Il a fallu s’adapter à de nouvelles règles, à de nouveaux modes de vie, visant à ce que chacun reste au maximum chez soi, isolé des autres. Une opportunité de ralentir et de se recentrer? Non, bien au contraire. Selon les experts, les mesures de confinement ont provoqué une vague de fatigue sans précédent. Soucis de santé, perte d’emploi, difficultés financières et isolement n’ont fait qu’augmenter le niveau de stress de la population, conduisant à un sentiment général d’épuisement.

Pour bien comprendre le phénomène, il est important de distinguer les différentes formes de fatigue. Pour Florian Ferreri, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, la fatigue est un état qui «se définit par une perte d’énergie avec le sentiment d’être en difficulté pour effectuer les activités du quotidien». C’est ce que l’on ressent habituellement après un effort physique ou intellectuel, intense et/ou prolongé, ou simplement de par un manque de sommeil. C’est une sensation que l’on qualifie généralement de «bonne fatigue» et qui entraîne une capacité de repos efficace.

Cette forme de fatigue s’oppose à une autre sensation, beaucoup plus néfaste: l’asthénie. Elle s’exprime par une faiblesse globale de l’organisme, durable, qui ne disparaît pas même avec le repos. Cette pathologie est généralement associée à un stress chronique, à une dépression, à de l’anxiété, ou encore à l’ennui. Pour les spécialistes, notre société moderne repose sur une montée en puissance de cette «mauvaise fatigue». Marc Loriol sociologue, spécialiste de la fatigue et du stress au travail, souligne notamment que cet état psychique « ne permet plus la satisfaction d’un travail bien fait et peut générer des idées noires».

En d’autres termes, cette forme de fatigue ne permet ni repos, ni tranquillité d’esprit. C’est elle qui est à l’origine des burn-out, qui sont de plus en plus souvent motifs de consultation médicale. Cet épuisement global, qui apparaît véritablement comme une caractéristique de notre société moderne, a malheureusement été accru par la pandémie de COVID-19. David Sbarra, psychologue clinicien et professeur au département de psychologie de l’Université d’Arizona évoque même une «fatigue pandémique». «Nous sommes stressés, isolés, seuls, épuisés et plus déprimés et anxieux que nous ne l’avons été depuis longtemps», résume l’expert.

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Pour les spécialistes, notre société moderne repose sur une montée en puissance de la «mauvaise fatigue»

Des habitudes bouleversées

Pour commencer, la maladie tient lieu d’épée de Damoclès. Si certaines personnes, jeunes et en bonne santé, se sentent «à l’abri», d’autres, plus vulnérables vivent dans la crainte permanente de contracter la maladie. Ensuite, dans de nombreux cas, les mesures sanitaires augmentent considérablement la charge de travail des salariés et bouleversent des habitudes profondément ancrées: réorganisation des plannings, port permanent du masque et lavage régulier des mains, nouvelles conditions de travail, etc. Autant de changements qui sont véritablement sources de stress pour la plupart des gens.

Quant à la généralisation du télétravail, s’il peut sembler plus confortable de prime abord, ce n’est pas toujours le cas. Certes, il permet d’éviter le stress inhérent aux transports en commun ou aux trajets quotidiens en voiture pour se rendre sur son lieu de travail. Mais en parallèle, il gomme complètement les frontières entre travail et vie privée. D’autant que bien souvent, les travailleurs ne disposent pas d’un espace dédié à leur activité dans leur foyer; beaucoup se contentent d’un coin de table pour installer leur ordinateur. Or, sans séparation claire, beaucoup de travailleurs augmentent inconsciemment leur temps de travail.

De plus, ils ne peuvent plus partager leurs difficultés avec leurs collaborateurs aussi aisément qu’avant, et se sentent de ce fait davantage isolés. Les réunions physiques ont fait place aux vidéoconférences, mais leur multiplication peut elle aussi être particulièrement épuisante: il est en effet reconnu que l’usage prolongé des écrans fatigue énormément. David Sbarra explique: «Notre cerveau et notre esprit doivent travailler beaucoup plus dur pour non seulement obtenir l’explicite, mais aussi pour lire les signaux imperceptibles qui viennent si facilement lors de réunions physiques. […] Nous sommes souvent distraits et à moitié attentifs, ce qui est épuisant.»

Du côté des jeunes parents, à tout cela s’ajoute la gestion des enfants, dont la présence au domicile n’est guère propice à une ambiance de travail. La baisse de fréquentation, voire la fermeture, des cantines scolaires ajoute un élément supplémentaire (la préparation des repas) à intégrer dans son planning — entre autres tâches ménagères qui s’intègrent insidieusement parmi toutes ces heures passées à la maison.

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Les réunions physiques ont fait place aux vidéoconférences, mais leur multiplication peut elle aussi être particulièrement épuisante

Et tout ceci, bien sûr, concerne ceux qui ont la chance d’avoir conservé leur travail. La Suisse figure aujourd’hui parmi les États affichant les taux de chômage les plus bas, mais en un an seulement (d’août 2019 à août 2020), le chiffre a bondi de 2,1% à 3,3%. Dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration en particulier, le nombre de chômeurs est presque deux fois plus élevé qu’il y a un an. Les experts du Secrétariat d’État à l’économie prévoit un taux de chômage de 4,1% pour l’année prochaine. Soit une nouvelle source d’inquiétude à venir pour bon nombre de familles…

Un lâcher-prise devenu impossible

Si on laisse de côté la vie professionnelle, ainsi que les couvre-feux et confinements instaurés ça et là, force est de constater que le cœur n’est de toute façon plus aux loisirs. Sorties au restaurant ou au cinéma, activités sportives en salle, dîner entre amis ou réunions familiales baignent dans un climat de méfiance et d’anxiété permanentes, alimenté par la vue de multiples visages masqués, et de distributeurs de solutions hydroalcooliques «à chaque coin de rue». Une personne tousse ou se mouche? Elle devient immédiatement suspecte. Au moindre contact (poignée de porte, terminal de carte bancaire, caddie de supermarché, etc.), une alarme résonne dans notre tête et l’angoisse monte jusqu’à ce que l’on puisse enfin se laver les mains…

En résumé, le lâcher-prise et la sérénité ne sont plus de mise. Pour Florian Ferreri, cet état d’esprit est dû en partie à cet avenir incertain qui se profile à l’horizon: «Cette hypervigilance épuise. Elle est en plus renforcée par l’incertitude. On ne sait pas où on va, on élabore des scénarios, avec pour certains la crainte de difficultés professionnelles, financières ou familiales. Ces ruminations pompent beaucoup d’énergie.» Par ailleurs, beaucoup sont las de faire des efforts qui ne paient pas. Malgré les contraintes observées depuis plusieurs mois, la situation ne semble pas évoluer dans le bon sens. Ce sentiment d’échec et d’impuissance remet en question les motivations de chacun.

Les conseils des experts

Que faire pour ne pas se laisser gagner par la fatigue et la lassitude? Les psychiatres rappellent que lutter contre quelque chose que l’on ne peut pas maîtriser est vain. Des sentiments comme l’angoisse ou la colère sont en outre particulièrement énergivores. La solution? Accepter la situation et se focaliser sur les moments positifs de son quotidien. On évitera également de suivre l’information liée à la pandémie en continu, qui ne fait qu’alimenter la peur.

Enfin, le plus important: il faut prendre soin de soi. Manger sainement, faire de l’exercice physique quotidiennement et bien dormir est le triptyque indispensable pour être bien dans sa tête, comme dans son corps. Quelques minutes de méditation, seul(e), sans sollicitation d’aucune forme (enfants, téléphone, ordinateur) seront en outre particulièrement bénéfiques pour retrouver rapidement son bien-être mental.

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